Achille Penciolelli est passionné par le mouvement moderniste et la scène californienne des années 1960, dont il a étudié l’influence sur la production française dans le cadre de sa formation d’architecte.
Aujourd’hui basé à Biarritz et au Cap-Ferret, il accompagne Architecture de Collection dans son travail d’identification, de valorisation et de transmission de biens remarquables à l’échelle de la Côte Atlantique en tant que chargé de mission. Dans cet article, il nous dévoile les clés de ce patrimoine exceptionnel, encore trop méconnu.
L’architecture moderne française regorge de trésors insoupçonnés. Nous connaissons les grandes figures du Mouvement Moderne – Le Corbusier, Robert Mallet-Stevens, Jean Prouvé –, et pourtant, une partie essentielle de cet héritage reste méconnue. Il s’agit de l’architecture domestique de la seconde moitié du XXe siècle, un patrimoine discret, éclipsé par les grands récits officiels.
Là où la Californie a su ériger les Case Study Houses en modèles internationaux, la France peine encore à reconnaître la valeur de ses propres expérimentations modernistes. Parmi elles, un corpus exceptionnel de maisons se niche dans les paysages du littoral atlantique, en particulier autour du Bassin d’Arcachon. Des maisons audacieuses, pensées pour habiter le paysage, mais qui n’ont jamais eu droit à la reconnaissance qu’elles méritaient.
Villa Mid-Century, Années 1970, Lège-Cap-Ferret (33)
A vendre chez Architecture de Collection
© Suzie Donnat
Architecte de formation, je pensais connaître l’architecture domestique moderne. J’avais étudié les Case Study Houses, analysé les plans de Richard Neutra, de Craig Ellwood, de Pierre Koenig. Je croyais maîtriser cette architecture légère et rationnelle, où la fluidité des espaces et la continuité avec le paysage définissent une nouvelle manière d’habiter. Et pourtant, je suis tombé de haut. Le choc s’est produit loin de la Californie, dans un lieu où je ne m’attendais pas à une telle révélation. Sur les rives du Bassin d’Arcachon, entre pinède et dunes, j’ai découvert un patrimoine insoupçonné. Des maisons modernistes remarquables, aux lignes pures et aux volumes maîtrisés, s’y dissimulent discrètement, ignorées du grand public comme des institutions. Elles existent, elles incarnent une forme de modernité radicale, et pourtant, elles n’ont jamais accédé au statut d’icônes.
Villa Mid-Century, Années 1970, Lège-Cap-Ferret (33)
A vendre chez Architecture de Collection
© Suzie Donnat
Dans les années 1960, une génération d’architectes bordelais s’est emparée de la question de l’habitat individuel et a développé une architecture adaptée aux conditions du littoral atlantique. Salier, Courtois, Lajus et Sadirac ont conçu des maisons qui dialoguent avec leur environnement plutôt que de lui imposer une forme. Elles reposent sur des structures légères, privilégient les matériaux bruts et favorisent une continuité spatiale entre l’intérieur et l’extérieur. Ces principes, qui évoquent irrésistiblement les Case Study Houses américaines, n’ont pourtant jamais été célébrés comme tels.
Villa Geneste, Salier, Courtois, Lajus, Sadirac architectes, 1967, Pyla-sur-mer (33)
Vendue par Architecture de Collection
© Suzie Donnat
Et pourtant, leur qualité est évidente. Il suffit de se promener dans ces paysages, d’apercevoir l’une de ces villas derrière une haie de pins, d’en franchir le seuil pour comprendre l’extrême justesse de leur conception. On y découvre des intérieurs baignés de lumière, des volumes libérés, des cadrages subtils sur la nature environnante. Ces maisons respirent une autre manière d’habiter, où l’architecture se fait support d’un rapport au monde plus simple, plus essentiel. Elles ne cherchent ni à impressionner ni à dominer leur site, mais à prolonger un dialogue avec lui. Une leçon de modernité, encore incroyablement actuelle.
Agence d’architecture Salier-Courtois-Lajus-Sadirac, Maison au Pyla, maquette, projet non réalisé
© Droits réservés
Agence d’architecture Salier-Courtois-Lajus-Sadirac, intérieur de la villa Manoux, croquis, Lège-Cap-Ferret
© Droits réservés
Parmi ces maisons méconnues, la Villa Geneste est sans doute l’un des exemples les plus marquants. Conçue selon une logique d’ossature aérienne et d’ouverture totale sur le paysage, elle réunit les influences de Richard Neutra et du modernisme brésilien. Comme dans les réalisations californiennes, la structure semble s’effacer au profit d’une transparence qui invite la nature à pénétrer l’espace habité. Mais on retrouve aussi ici l’approche brésilienne d’un Lúcio Costa ou d’un Oscar Niemeyer, où la maison, légèrement surélevée, se détache du sol pour mieux dialoguer avec son environnement. L’utilisation du béton renforce cette tension entre brutalité et finesse qui caractérise les plus grandes réalisations modernistes. Une maison exceptionnelle, dont l’existence même pose une question troublante : combien d’autres chefs-d’œuvre sont aujourd’hui menacés par l’oubli?
L’absence de reconnaissance de ces architectures n’est pas un hasard. Contrairement aux Case Study Houses, soutenues et documentées par une institution, ces maisons françaises n’ont jamais bénéficié de médiatisation, ni même d’une réelle prise en compte dans l’histoire officielle de l’architecture moderne. Elles sont restées des productions locales, reléguées au rang de simples maisons de vacances, alors qu’elles expriment une réponse exemplaire aux problématiques contemporaines du logement.
Yves Salier, Michel Sadirac & Jacques Lapeyre , 1957
© Arc-en-rêve
Yves Salier, Adrien Courtois, Pierre Lajus, Michel Sadirac, Villa Khalys, 1965
© Droits réservés
Mais il est encore temps d’agir. Car ces maisons, loin d’être de simples curiosités architecturales, incarnent une approche de l’habitat qui résonne profondément avec nos préoccupations actuelles. Elles nous rappellent qu’il existe une autre façon de construire et d’habiter, plus respectueuse du paysage, plus ouverte sur l’extérieur, plus en adéquation avec nos besoins d’aujourd’hui.
Leur redécouverte est une invitation. Une invitation à parcourir ces territoires avec un regard neuf, à déceler derrière une façade en bois patiné ou une structure de béton discrète un pan oublié de notre histoire architecturale. À entrer dans ces espaces, à y ressentir la lumière, la circulation de l’air, la relation à la nature. À comprendre que nous avons en France un patrimoine moderniste exceptionnel, qu’il nous appartient aujourd’hui de préserver et de célébrer.
La France n’a pas à envier la Californie. Nous avons nos propres « Case Study Houses », mais elles sont restées dans l’ombre. Peut-être serait-il enfin temps de les révéler.
Achille Penciolelli
Architecte HMNOP, chargé de mission Côte Atlantique pour Architecture de Collection