« L’artiste, l’architecte et le panache » ! Entretien avec Xavier Veilhan

10.03.23

Rencontre avec Xavier Veilhan dans son atelier, 2023 © Mélina Vernant

Xavier Veilhan, Claude Parent, 2009 © Guillaume Ziccarelli

L’artiste plasticien Xavier Veilhan est connu et reconnu au niveau international pour sa démarche transversale, guidée par son adhésion au concept moderniste de « synthèse des arts » : architecture, arts graphiques, design d’objet, musique, mode… irriguent ainsi ses créations depuis les années 1990.

Alors qu’il vient de mener une série de collaborations avec la maison Chanel, nous lui avons rendu visite dans son atelier parisien pour évoquer sa relation à Claude Parent, son admiration pour l’architecte et la complicité qu’il avait nouée avec lui au fil de plusieurs projets.

  • Aurélien Vernant : Peux-tu nous parler de ta première rencontre avec Claude Parent ?

Xavier Veilhan : Je préparais mon exposition au Château de Versailles, en 2009. Je travaillais sur un projet d’installation pour les jardins du palais : une allée monumentale conçue comme une galerie de portraits d’architectes en trois dimensions. C’était pour moi une manière de rendre hommage aux grands bâtisseurs (parmi lesquels Le Corbusier, Oscar Niemeyer, Renzo Piano, Tadao Ando ou Lacaton & Vassal).
J’admirais depuis longtemps l’œuvre et la personnalité de Claude Parent. Je l’ai donc contacté pour l’intégrer au projet et réaliser son portrait. C’est Naad, son épouse, qui a intercepté mon message et qui l’a convaincu d’accepter.

On a beaucoup discuté sur la manière de le représenter ; et je lui ai parlé de la figure de l’Académicien. Je trouvais intéressante cette posture de sage, compte tenu de sa trajectoire, de sa personnalité. Je le voyais un peu comme Manet : une figure révolutionnaire ; un bourgeois, certes, mais porteur d’un discours radical.

Xavier Veilhan, Le Carrosse, Versailles, 2009 © Florian Kleinefenn

Xavier Veilhan, Tadao Ando, Versailles, 2009 © Florian Kleinefenn

Xavier Veilhan, Claude Parent, Versailles, 2009 © Guillaume Ziccarelli

  • AV : Vous avez noués à cette époque une forme de complicité ?

XV : Je l’ai rencontré assez tard, il avait 86 ans. Il est certain que j’ai tout de suite accroché avec sa personnalité si charismatique et son élégance un peu dandy. Il avait ce côté « seul contre tous » et puis un destin unique, tout à fait original dans le paysage de l’architecture du 20e siècle.

Il avait plusieurs facettes. En tant qu’architecte, il avait un grand respect et une considération profonde pour ses confrères, malgré ses positions parfois marginales au sein de la sphère professionnelle.

Et puis une certaine ambiguïté, entre utopie et dystopie ; je pense à ses projets de centrales nucléaires, ou à certains de ses dessins qui montrent une vision assez sombre.

Il était très drôle et intarissable, toujours plein d’anecdotes. Un jour, il m’a parlé de sa jeunesse et des après-midis où il allait dessiner à l’atelier de Le Corbusier – qui avait repéré Claude grâce à la qualité de ses dessins. Il lui expliquait comment représenter telle ou telle chose… C’est amusant et impressionnant d’imaginer Le Corbusier en train d’expliquer le dessin à Claude Parent !

Rencontre avec Xavier Veilhan dans son atelier, 2023 © Mélina Vernant

  • AV : Après Versailles, tu engages le projet Architectones (2012-2014), qu’on peut définir comme un vaste projet de recherche lié à des figures et des lieux emblématiques de l’architecture moderne. Il s’agissait pour toi d’intervenir sur des sites remarquables, en Europe et aux Etats-Unis. Là aussi, tu décides de rendre hommage à Claude Parent, en choisissant une de ses œuvres majeures : l’Eglise Sainte-Bernadette du Banlay à Nevers. Pourquoi ce site spécifiquement ?

XV : J’étais fasciné et intrigué depuis longtemps par cette église « bunker », conçue au milieu des années 1960 par Parent et son complice de l’époque, Paul Virilio.
Dans le cadre d’Architectones, j’avais réalisé plusieurs interventions à Los Angeles, dans des maisons iconiques de Richard Neutra et John Lautner. Je cherchais à intervenir en France. Je préparais un projet pour le toit-terrasse de la Cité Radieuse à Marseille, et Claude Parent m’a dit, un jour que nous évoquions ma recherche : “- vous devriez vous intéresser à Sainte-Bernadette”. C’est comme ça que je suis arrivé à Nevers. Nous avons mis au point avec l’atelier une série d’interventions à l’échelle du site : des objets et installations disséminés à l’extérieur et à l’intérieur de l’église ; nous avions d’ailleurs positionné dans la nef une petite statue de Claude Parent. C’était émouvant.

J’ai eu la chance aussi, avec ce projet, de pouvoir m’entretenir avec Paul Virilio. J’avais étudié son ouvrage Bunker Archéologie et j’ai décidé de reconstituer des blockhaus à partir de petits blocs de bois, que j’ai mis en situation et photographié sur les plages du Finistère. Ces photomontages de compositions abstraites ont ensuite été traités sous forme de lithophanies (impressions sur porcelaine translucide) que j’ai intégrées aux meurtrières de l’église, le temps de l’exposition.

Xavier Veilhan, Lithophane n°17 (Blockhaus), Nevers, 2013 © Diane Arques

The Yellow Lines (Tracing of the Parochial Center), Sainte-Bernadette du Banlay, Nevers, 2013 © Diane Arques

Xavier Veilhan, Sainte-Bernadette du Banlay, Nevers, 2013 © Diane Arques

  •  AV : Est-ce que d’autres projets de Claude Parent t’inspirent ou occupent une place importante dans ton imaginaire ?

XV : J’aurais bien aimé pouvoir intervenir sur la Maison Drusch à Versailles (1963-1966) ; je l’avais visitée avec Marie-Ange Brayer, qui dirigeait le FRAC Centre à l’époque. On y a passé un très beau moment avec les commanditaires, Monsieur et Madame Drusch, alors très âgés. Mais l’occasion ne s’est pas présentée.

J’admire la Maison Bordeaux-Le Pecq (1963-1965), récemment vendue par Architecture de Collection, et la Villa Bloc (1959-1962) au Cap d’Antibes, que je n’ai jamais visitées. J’ai visité le Pavillon de l’Iran à la Cité Universitaire, et j’ai une tendresse particulière pour le projet du Pavillon français de la Biennale de Venise en 1970. Claude Parent, commissaire du pavillon cette année-là, s’est littéralement coulé dans la structure de l’édifice, qu’il a réinterprétée avec un gigantesque Praticable, ouvert à des appropriations multiples. Ce geste fascinant m’a beaucoup inspiré pour le projet de Studio Venezia en 2017. Cette idée de synthèse des arts, de symphonie, et puis cette volonté d’irriguer différemment le bâtiment, de le rendre méconnaissable de l’intérieur…

Xavier Veilhan, Studio Venezia – French Pavilion, Biennale di Venezia, 2017
Photo © Diane Arques © Veilhan ADAGP, Paris, 2017

  • AV : La présence de Claude Parent est palpable dans ton atelier. Ici, sur les murs de ton bureau, nous sommes entourés de nombreux dessins réalisés par l’architecte à différentes époques. Comment sont-ils arrivés-là ?

XV : Je les ai collectionnés au fil du temps et de nos échanges avec Claude.
C’était un très grand dessinateur. J’admire ce « dynamisme fort », cette « positivité dure » qui traverse ses dessins ; il ne cherche pas à concevoir des espaces qui soient confortables, mais plutôt qui poussent à l’action ; des espaces comme façonnés par le mouvement permanent du corps et de l’esprit.

Au départ, pendant l’exposition à Versailles, il m’envoyait par la poste des croquis humoristiques, dans lesquels il se mettait en scène, au sommet ou au pied de sa statue, avec des commentaires salés.

Plus tard, il m’a dit qu’il aimerait bien disposer d’une édition pour sa collection ; j’ai proposé de lui réaliser une petite version de sa statue d’académicien, assis avec l’épée oblique. Il m’a offert des dessins en échange.

Et puis, un jour où je lui rendais visite, il m’a offert cette série d’esquisses, qu’il a sortie d’un grand tiroir rempli de plans originaux de ses travaux…

Celui-ci me rappelle l’époque de mon enfance : je m’ennuyais pas mal à l’école et je dessinais des bateaux pour tuer le temps. Dans mon cas, c’était souvent des bateaux à voiles, là on dirait plutôt une superstructure d’un yacht à moteur…

Rencontre avec Xavier Veilhan dans son atelier, 2023 © Mélina Vernant

  • AV : Est-ce qu’il y a une idée forte ou un trait de sa personnalité que tu retiens ?

XV : Cela peut paraître un peu anecdotique, mais je dirais son humour. Même s’il avait bien sûr un côté très sérieux, une sorte de gravité dans ses questionnements et ses partis pris. Il cultivait une sorte de distance vis-à-vis du réel, une façon particulière de regarder le monde.

C’est quelqu’un dont j’ai ressenti aussi l’empathie et la bienveillance. Il était curieux et très généreux ; il a passé beaucoup de temps à essayer de comprendre certains de mes projets, qui n’appartenaient pas forcément à son vocabulaire.

Enfin, ce qui le définissait le mieux, c’est peut-être et surtout, le panache ! Je me souviens d’Odile Decq racontant comment il l’avait raccompagnée au métro, à 100 mètres de chez lui, en Rolls Royce ! Politiquement incorrect et à la fois représentatif de son amour des beaux objets, d’un certain esthétisme.

© Mélina Vernant

Propos recueillis par Aurélien Vernant,
directeur d’Architecture de Collection

www.xavierveilhan.com

© Veilhan ADAGP, Paris, 2023

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