par Jacinthe Gigou
Savez-vous que Victor Horta, le plus célèbre des architectes belges, a aussi construit des maisons de campagne ? La Villa Carpentier à Renaix est sûrement le plus bel exemple, avec son jardin récemment restauré, qui n’a rien à envier à celui d’Eden. Ses propriétaires – Michel et Olga Gilbert – nous accueillent dans leur havre de paix.
Dans la tradition des maisons de plaisance du 18e siècle qu’on nommait les « folies », cet ancien pavillon de chasse présente des influences exotiques, avec des toits japonisants
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Cachée derrière les arbres dans la petite ville de Renaix, en province belge flamande, la « Campagne Carpentier » également nommée villa « Les Platanes » est un véritable coin de paradis. Ses commanditaires, Valère Carpentier, industriel textile, et sa femme Marie-Louise Huybrechts, formaient un couple sans enfants, désireux d’une maison de campagne pour y accueillir leurs amis, principalement pour des parties de chasse. Ils confièrent leur projet à l’architecte Victor Horta, alors au sommet de son art. A cette époque, Horta a 38 ans, il a terminé la Maison du Peuple à Bruxelles et il est en plein chantier de sa maison personnelle, à Saint-Gilles. Débutée en 1899, la Villa Carpentier est finalisée en 1903.
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Collectionneurs de maisons Horta
« J’ai acquis cette maison en 2004. Je la louais à une activité de Bed & Breakfast pendant quelques années. A sa fermeture, nous avons entamé des travaux de restauration et nous trouvions la maison de plus en plus belle ! Ma femme et moi avons décidé de la conserver comme maison de campagne » se souvient Michel Gilbert. Le couple n’en est pas à son coup d’essai : c’est leur quatrième maison Horta. « Dès que j’ai deux objets, je commence une collection… » avoue le propriétaire. Le couple vit en alternance entre l’hôtel Max Hallet situé avenue Louise à Bruxelles et la Villa Carpentier, à Renaix. Michel et Olga Gilbert forment un couple à la ville comme au travail, dans le secteur immobilier.
Quand on leur demande comment habiter une maison Horta en 2024, ils répondent que c’est possible en apportant une touche contemporaine à travers le mobilier et les oeuvres d’art, pour ne pas avoir la l’impression d’occuper un musée. Michel Gilbert détaille : « Ce n’est pas l’Art nouveau qui me passionne, mais bien Victor Horta. Sa ligne n’est comparable à aucun autre architecte, rien n’est laissé au hasard dans ses constructions ». Une véritable passion qui conduit le couple à prénommer leurs enfants Victor et… Orta !
Le hall distribue les pièces de vie de la maison
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La salle à manger
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La ligne en « coup de fouet » de Victor Horta est reconnaissable jusque dans le dessin des poignées de porte
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Olga et Michel Gilbert, les propriétaires passionnés de la Villa Carpentier
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Horta des villes, Horta des champs
En empruntant l’allée de graviers qui mène à la maison, nous sommes éblouis par les arbres centenaires du parc qui entourent la demeure : hêtres, gingko biloba, platanes, séquoias, peupliers, châtaigniers, bouleaux … Et par toutes les essences de plantes et de fleurs qui composent les jardins : « quand on arrive ici c’est le bonheur, on profite de l’air et de la nature. C’est la maison du repos, ma maison de poupées. » confie Olga Gilbert. L’allure pittoresque des lieux est adoucie par les toits japonisants qui couvrent la villa, traduisant le goût de Victor Horta pour l’art oriental.
La maison de 700 m2 et ses dépendances – conciergerie et écuries – sont bâties dans un parc arboré de trois hectares. Un perron en pierre bleue de quelques marches nous conduit au vaste hall central qui distribue les espaces de vie du rez-de-chaussée : salon, salle-à-manger, bureau. Un escalier mène aux étages des sept chambres et leurs salles de bain. A gauche de l’entrée, une véranda en pierre bleue permet de profiter du jardin à l’abri de la pluie et du soleil. Ses murs sont ornés de somptueux sgraffites attribués à Adolphe Crespin, figurant de grands oiseaux, récemment rénovés par le couple.
Comme dans nombre de ses projets, Victor Horta s’est entouré d’illustres artistes pour l’aménagement de la demeure. Ainsi, le hall de réception est agrémenté d’une tapisserie monumentale signée de l’artiste symboliste Emile Fabry, intitulée « Hymne de reconnaissance devant le charme de la nature » et de vitraux de Raphaël Evaldre. La salle à manger est quant à elle ornée d’une fresque murale d’un autre peintre symboliste, Albert Ciamberlani. Comme à l’accoutumée, Horta accomplit une véritable oeuvre d’art total, allant du dessin des plans jusqu’aux choix des dispositions intérieures.
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Jardin extraordinaire
Fait beaucoup plus rare, Horta est également l’auteur des plans du parc et des différentes variétés d’arbres qui le composent. Il dessina un tracé singulier et spectaculaire d’allées tout autour de la maison, en forme de nautilus. Ayant disparus avec le temps, les jardins ont été entièrement recréés, entre 2016 et 2018. Si le gros œuvre a été réalisé par l’entreprise spécialisée Steve Delusinne, le dessin et le choix des essences reviennent à Olga Gilbert, la créatrice du nouveau jardin. « J’ai tout appris sur place. Je ne trouvais pas de paysagiste qui me satisfaisait, j’ai donc imaginé ce jardin seule ». Le tracé des sentiers en arabesques a été retrouvé grâce à une vue aérienne. « Michel pilotait un drone et moi je suivais ses indications avec notre tuyau d’arrosage jaune pour retracer la courbe parfaite d’origine. »
Croquis d’Olga Gilbert pour la création des jardins. Elle en a réalisé près d’une centaine.
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Tandis que Léon le paon traverse l’allée, Olga énumère les quantités et variétés de plantes qu’elle a utilisées : 20 acers, 29 rhododendrons, 30 azalées, 20 hortensias, 90 roses… Des centaines d’espèces savamment choisies. « Je ne voulais que des odorantes et des remontantes ». Puis elle présente les centaines de croquis qu’elle a esquissés elle-même, les photos de plantes et de jardins qui l’ont inspirée, comme celui de la maison Art Déco Van Buuren à Bruxelles ou la Green Line de New York. « J’ai adoré ces jardins, mais il faut ensuite les transposer ici. On ne peut pas marier n’importe quelle plante avec Horta. Chaque façade de la maison est différente, avec ses propres couleurs. J’ai donc imaginé tous les parterres en fonction de leur emplacement par rapport à la maison. » Ainsi, devant une façade aux tons rouges davantage parée de briques, Olga a planté des espèces aux tons chauds. Tandis que près d’une façade ornée de pierre bleue, nous retrouvons des essences aux tons froids, violet profond. Un travail de recherche minutieux et une longue réflexion, pour aboutir à un jardin enchanteur.
« Pendant deux mois, les murs de la cuisine étaient punaisés des croquis d’Olga » raconte Michel. Autour de la maison, plusieurs terrasses ont été aménagées pour profiter du soleil – ou de l’ombre – selon le moment de la journée. « A l’époque d’Horta, on ne profitait pas du soleil comme nous le faisons de nos jours. Mais aujourd’hui, les petits déjeuners en terrasse avec nos enfants sont un vrai moment de bonheur » évoque l’habitante. Une convivialité qui fait partie d’une histoire commune à la vie domestique. Elle conclut « une maison Horta, c’est le partage de la joie de vivre ».
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Vue d’époque de la maison
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Victor Horta
Victor Horta (1861-1947) est le principal acteur de l’Art nouveau en Belgique. Il est considéré comme un génie, notamment car il révolutionne le plan de la maison traditionnelle, en créant des espaces fluides qui laissent passer la lumière par des verrières et des puits de lumière.
Il dessine chaque détails de ses maisons, jusqu’au mobilier, tapis et luminaires. Ses matériaux de prédilection sont le fer, le verre et la pierre. Son architecture organique est inspirée de la nature, sa ligne en coup de fouet est sa signature : « de la fleur, je ne prends que la tige » disait-il.
Mais l’Art nouveau passe rapidement de mode, et beaucoup de ses constructions sont détruites dans les années 60 comme la Maison du Peuple et le magasin A l’Innovation. A Bruxelles, il construit de nombreux hôtels de maître et le Palais des Beaux-Arts. Sa maison-atelier personnelle située à Saint-Gilles se visite, c’est le musée Horta.
JACINTHE GIGOU
© Morgane Delfosse
Historienne de l’art et de l’architecture, Jacinthe Gigou travaille depuis vingt ans sur la valorisation et la diffusion de l’architecture moderne. Elle a travaillé comme curatrice au CIVA et directrice de l’agence patrimoniale Arkadia à Bruxelles jusqu’en 2020. Elle a co-créé le Brussels Art nouveau & Art Deco Festival et la Brussels Biennale of Modern Architecture. En 2021, elle fonde Modernista, une plateforme dédiée au Modernisme belge. En parallèle, elle a une activité de journaliste d’architecture et de critique pour différents médias, et a co-écrit le livre 150 houses you need to visit before you die.
Instagram : @modernista.be