Né en Hongrie, Lucien Hervé émigre en France en 1929 avec le projet de devenir peintre. Il aiguise son regard dans les plus grands musées d’Europe, ainsi que par le cinéma expressionniste, mais c’est en autodidacte qu’il apprend le métier de photographe. Communiste, puis résistant, il est un homme de convictions, des valeurs qu’il veut mettre au service de son engagement d’artiste. En 1949 sa rencontre avec l’œuvre de Le Corbusier puis avec l’architecte lui-même l’orientent de manière définitive vers la photographie et en particulier celle de l’architecture.
Incarnations du modernisme et du génie, les constructions de l’architecte le fascinent, et il cherche à saisir tant leur matérialité que leurs aspects intangibles. Elles lui inspirent le souhait de devenir lui-même un constructeur dans le domaine de l’image, à l’aide de ses propres outils : l’ombre et la lumière. Il affirme son langage dès ses premiers clichés : compositions géométriques et souvent minimalistes, qui tendent vers l’abstraction. Elles sont basées sur la tension entre formes et volumes, l’équilibre des pleins et des vides, offrant une évocation plutôt qu’une description des sujets. Le Corbusier affirme à Hervé qu’il possède « l’âme d’un architecte », et il puise abondamment dans ses clichés pour diffuser son architecture.
Lucien Hervé produisit la grande majorité de ses images sur une vingtaine d’années, dont quinze – entre 1950 et 1965 – aux côtés du célèbre architecte. Il collabora par la suite avec les plus grands constructeurs de son époque (Alvar Aalto, Walter Gropius, Marcel Breuer, Oscar Niemeyer, Jean Prouvé…) et multiplia les commandes et les découvertes de sites de différentes périodes à travers le monde.
Homme d’une grande spiritualité, Lucien Hervé sut capter les aspirations de l’homme à travers ses constructions. Si les individus sont rarement le thème de ses photographies, Lucien Hervé n’en demeurait pas moins animé d’une profonde foi en l’humanité. Après la disparition de Le Corbusier et malgré une longue maladie, il continua à inviter son public à non seulement regarder, mais voir et résonner avec les constructions et conditions de vie du monde entier à travers ses livres et expositions. Il transforma son appartement en une « œuvre totale », où les couleurs jouent un rôle déterminant pour dynamiser l’espace et intensifier les profondeurs de ce milieu intime. En tant que maître de nombreux jeunes architectes et photographes ses yeux brillèrent de curiosité jusqu’à ses 97 ans.
Imola Gebauer