Diébédo Francis Kéré lauréat du Prix Pritzker 2022

10.03.22

Le Burkinabé se fait l’ambassadeur d’une Afrique innovante en incarnant une architecture ingénieuse, adaptable, simple et écologique. 

Diébédo Francis Kéré © Sophie Garcia/ Hans Lucas

Partisan d’une architecture vernaculaire, simple et adaptée aux conditions climatiques, Diébédo Francis Kéré soutient la participation des communautés locales au développement et à la réalisation de chaque projet. De cette façon, il peut répondre au mieux aux besoins des populations tout en leur apprenant les techniques pour édifier mais aussi entretenir les constructions. Son approche altruiste de l’architecture qui favorise le réemploi et le recyclage et génératrice de structures économiques locales lui vaut en 2009 d’être récompensé du Global Award for Sustainable Architecture

Son pragmatisme lui vient de son pays d’origine où la construction appelle un besoin de cohérence et une adaptation au climat. Les territoires sur lesquels il intervient imposent une prise en considération de nombreux critères environnementaux : l’harmattan, vent puissant qui provoque des tempêtes de sable, les moussons entre juin et septembre ou encore des températures élevées toute l’année. 

Sa philosophie d’une architecture in situ vise également à rejeter l’architecture par essence importée des pays occidentaux durant la colonisation et dont les schémas sont encore très présents dans l’industrie de la construction. Face à cette réalité, Francis Kéré incarne « L’Afrique qui n’a pas peur, (…)  qui ne veut pas suivre les normes dictées » et soutient une pratique de l’architecture à échelle locale, accessible aux habitants. Ainsi aux ciments importés d’Europe, il propose l’argile extraite localement pour isoler les murs des écoles qu’il édifie. À ces matériaux locaux s’ajoutent des techniques de climatisation naturelle qui inscrivent l’architecture de Kéré dans une démarche profondément adaptée au réchauffement climatique : double toiture, façades percées, bassines d’eau fraîche au pied des cheminées qui font monter l’air chaud et descendre l’air froid…

Toutefois, il refuse qu’on le catégorise: « Je ne suis pas un expert de la construction en terre, mais un opportuniste quant à l’emploi de matériaux en un lieu donné, pour un projet donné. »

Un pragmatisme assumé qui fait de son architecture une pratique accessible qui fait d’une situation donnée le moteur de son innovation, dans un souci climatique et humaniste. 

Diébédo Francis Kéré naît à Gando au Burkina Faso. Faute d’école dans son village, il part faire sa scolarité à Ouagadougou après quoi il devient charpentier. Grâce à une bourse, il obtient d’aller faire un stage à Berlin. Il y étudie l’architecture et sort diplômé de l’Université technique de Berlin en 2004. Au cours de sa scolarité, il crée l’association « Des briques pour l’école de Gando » (« Schulbausteine für Gando ») et obtient les financements nécessaires pour ce premier projet qu’il termine en 2001. En 2004 il est lauréat du Prix Aga Khan qui récompense l’excellence en architecture dans les sociétés musulmanes. Désormais installé à Berlin, l’architecte contribue inlassablement à construire l’avenir de son pays et de son continent d’origine en commençant par les écoles et les hôpitaux. Il donne également des cours à l’école du Bauhaus en tant que professeur invité depuis 2021.

Quelques réalisations emblématiques et inspirantes de son travail : 

Son premier projet, L’école primaire de Gondo, Burkina Faso, 2010

© Simeon Duchoud

Débutée en octobre 2000, la construction de l’école primaire a été réalisée majoritairement par la population. Alors que les écoles du Burkina Faso sont pour la plupart construites en ciment, le projet de Kéré utilise les matériaux locaux réduisant ainsi les coûts de construction et favorisant le confort climatique. 

Ainsi des blocs de terres qui absorbent la chaleur composent les murs tandis que le toit constitué de tôle ondulée et supporté par une structure d’acier le met à distance du corps du bâtiment. Le toit permet à l’air de mieux circuler et aux murs d’être protégés de la pluie.  

Le centre pour l’Architecture en Terre de Mopti, Mali, 2010 

© Iwan Baan

Ce projet s’inscrit dans une série de travaux impulsés par l’Aga Khan Trust for Culture qui impliquait notamment la restauration de la mosquée. L’édifice mobilise des matériaux utilisés pour la restauration de monuments anciens, prouvant qu’un même matériau, partie prenante du patrimoine local, peut être utilisé en contexte moderne. 

La structure globale est très simple et accueille divers lieux de récréation en plus de l’espace d’exposition. Un toit saillant isole les murs de la chaleur tout en produisant des zones d’ombres indispensables. L’ensemble est aéré naturellement par de nombreuses ouvertures. 

La bibliothèque de l’école primaire, Gando, 2010

© Kéré Architecture

Extension de l’école primaire évoquée plus haut, la bibliothèque se caractérise par son toit innovant percé de nombreuses ouvertures circulaires de tailles diverses. Ce dispositif, constitué par des vases en terre cuite percés puis fixés dans la chape de ciment du toit, permet une bonne ventilation de l’espace et une zone ombragée. 

Pavillon éphémère à Hyde Park, Angleterre, 2017

© Iwan Baan

Chaque année depuis 2000, la Serpentine Gallery confie à un architecte de renom qui n’a jamais construit en Angleterre la prestigieuse mission de concevoir un pavillon éphémère accueillant des évènements estivaux.  

Pour l’édition de 2017, Kéré conçoit un pavillon inspiré du palabres, un arbre de son village natal, symbole de rassemblement, de vie mais aussi abri contre la chaleur ou les intempéries. À l’image d’une canopée, le large toit de bois repose sur une structure métallique qui permet d’abriter les évènements de la pluie londonienne tout en facilitant la circulation de l’air. La structure inférieure reprend les mêmes motifs de bois dans un bleu indigo envoûtant.

Considéré comme un « Nobel de l’Architecture », le Pritzker, fondé en 1979, récompense tous les ans la carrière d’un architecte vivant dont « l’œuvre a apporté une contribution constante et significative à l’humanité et à l’environnement bâti par le biais de l’art de l’architecture. ».

Camille Buzon